Les 23 et 24 septembre dernier ont eu lieu les États Généraux de la Transition du Tourisme en Montagne, à l’initiative de Mountain Wilderness et de 2TM-Transitions des Territoires de Montagne.
Ces États Généraux ont pris des formes variées et innovantes qui ont permis de rassembler en nombre la multiplicité des acteurs concernés par les enjeux de la transition en montagne : des séances plénières et des ateliers thématiques en ligne, un villages des initiatives en ligne mais aussi des ateliers territoriaux dans plus de 30 massifs. Car l’objectif principal de cette manifestation est clair : mettre autour de la table tous les acteurs qui ont à voir de près ou de loin avec la montagne et collaborer ensemble malgré les différences de points de vue pour préserver, travailler et vivre dans nos territoires de montagne. « C’est tous ensemble qu’on sera plus fort » semble être le motto à suivre.
Le programme était riche et de nombreux enseignements sont à garder à l’issue de ces Etats Généraux. Voici les 5 points que nous avons choisi de retenir :
1. Décarboner ne suffit pas, il faut passer par des changements de comportements
Lors de la conférence : «Se nourrir et s’approprier les enjeux de la transition », les quatre intervenants Dominique Bourg (philosophe, Université de Lausanne), Jean-François Caron (maire de Loos-en-Gohelle, Pas de Calais et directeur de la Fabrique des Transitions), Hervé Saulnier (consultant en marketing et économie auprès des stations de sports d’hiver), et Laurence Barthe (géographe, Université Toulouse Jean Jaurès) se sont mis d’accord sur un point : la transition touristique en montagne doit passer par des changements de comportements et un renoncement des pratiques consuméristes auxquelles la population est largement habituée. Et ce ne sera pas chose facile d’abandonner cette facilité acquise de consommer pour son intérêt personnel.
Jean-François Caron constate que le déni du changement climatique est de plus en plus faible (l’ADEME estime que 80% de la société a compris qu’un changement était nécessaire). Cependant, le déni au sujet de la responsabilité humaine dans le changement climatique est encore très présent. Pour lui, la transition passe par la conduite du changement et l’adoption de nouvelles méthodes de gouvernance est absolument centrale. Alors, quelles sont les politiques publiques de conduite du changement à déployer ? Les neurosciences expliqueraient que « c’est quand on se met en action qu’on se transforme ». A l’instar de ce que Jean-François Caron a mis en place dans sa commune de Loos-en-Gohelle, c’est en commençant à donner des espaces d’implication concrets pour les habitants qu’on peut transformer les comportements d’une population.
Dominique Bourg appuie l’idée que ce qui change un territoire, ce sont les petits collectifs et les petites actions qui peuvent être encouragées par les élus locaux. Si les adaptations demandées sont trop importantes, « soit on veut se réfugier dans sa caverne soit on se dit foutu pour foutu, je continue ». Or, dans une logique de petites adaptations réalistes et à dimension locale, les citoyens peuvent s’engager à adopter un comportement plus résilient.
soit on veut se réfugier dans sa caverne soit on se dit foutu pour foutu, je continue
Laurence Barthe dresse un constat en demi-teinte à l’issue de cette conférence. Elle se dit d’abord rassurée de percevoir une prise de conscience commune sur les mutations qui marquent aujourd’hui nos sociétés, nos territoires de montagne et les activités de tourisme et ce besoin inévitable de faire rupture – voire de renoncer. Les intentions semblent convergentes malgré les différences de points de vue et des pas de côté sont réalisés pour aller vers un changement. Cependant, elle s’inquiète des difficultés auxquelles nous allons être confrontés, sans y avoir été préparé. Elle en appelle alors à la responsabilité de chacun : élu, chercheur, citoyen, acteur économique, militant, touriste… L’heure n’est plus à chercher qui est le coupable mais à revisiter nos grilles de lecture et d’analyse de la société et ses défis.
Elle dresse néanmoins quelques pistes pour avancer : se diriger vers une pensée prospective et penser le futur, plutôt que d’agir en rétrospective et se baser sur « d’où on vient » ; conserver cette approche systémique propre aux territoires de montagne et fonctionner ensemble ; se servir du sensible et produire du récit pour aider à la conscientisation des changements à amener.
2. De nouvelles formes de gouvernance pour la transition
Lors de l’atelier « Les nouvelles formes de gouvernance pour la transition », les intervenants Anne Pisot (Consortium Consultants), Héloïse Legris (Les Citoyen-ne-s pour le Renouvellement de la Démocratie) et Eric Adamkiewicz (Université Paul Sabatier Toulouse 3) ont été invités à échanger autour d’une définition de la gouvernance : « (…) l’ensemble des règles et des processus collectifs, formalisés ou non, par lequel les acteurs concernés participent à la décision et la mise en œuvre des actions publiques. Ces règles et ces processus, comme les décisions qui en découlent, sont le résultat d’une négociation constante entre les multiples acteurs impliqués. Cette négociation, en plus d’orienter les décisions et les actions, facilite le partage de la responsabilité entre l’ensemble des acteurs impliqués, possédant chacun une certaine forme de pouvoir. » (I. Lacroix et P.O. Saint-Arnaud, 2012).
Eric Adamkiewicz se demande comment peut-on enclencher une co-construction, qui est la base de la gouvernance ? En partageant l’objectif de construire ensemble. Mais il semblerait que l’intérêt personnel qui émane de chacun des acteurs ne résonne pas toujours avec l’intérêt collectif. En montagne par exemple, se retrouvent les habitants permanents, les saisonniers, les acteurs économiques, les propriétaires et les touristes, avec chacun des intérêts différents. Il est nécessaire d’engager un travail autour des acteurs afin d’écouter leurs divergences et trouver des intérêts communs.
Anne Pisot retient les mots-clés « négociation, multi-acteurs », « pouvoir ». Pour elle, la gouvernance, c’est de la négociation et le développement d’un territoire se définit par la qualité des acteurs qui le composent et leur capacité à travailler ensemble. Elle identifie 3 enjeux : la gestion des éco-systèmes vivants qui impose de réfléchir à la diversité des enjeux sur les territoires ; la confiance dans les institutions avec un système de plus en plus complexe qui génère un manque de transparence et une négociation plus difficile ; la dualité temps long VS t
emps court avec des enjeux politiques de courts termes qui l’emportent et empêchent d’intégrer les enjeux dans le temps long de la gouvernance. En montagne particulièrement, le modèle économique de la montagne-station est spécifique et rend la gouvernance complexe avec notamment un acteur dominant : la station de ski. Mais la crise COVID a bousculé les choses et les acteurs des stations sont aujourd’hui très interpellés par leur modèle actuel. A cela s’ajoute le risque de dépendance à la neige et donc la nécessité de sortir de la mono-activité.
Pour Héloïse Legris, la gouvernance doit être pensée autour du choix commun. Cette association propose aux élus l’outil de la « conférence de citoyens ». C’est un alliage entre : un groupe décisionnel composé de citoyens, experts, élus ; une civi-tech composée d’un regroupement de citoyens ; un comité d’organisation qui pilote le déroulement. Ces groupes interagissent autour de problèmes et de solutions. Ils doivent tous se mettre d’accord pour arriver à une décision en consentement.
A la fin de l’atelier, chaque intervenant énonce des mots-clés pour imager la gouvernance de demain : prendre le temps, confiance, ouverture, écoute et rêve.
3. Le modèle des stations d’hiver : un deuil à faire ?
Lors de la table ronde « La transition du tourisme dans l’Arc Alpin », Wilfried Tissot (Alliance dans les Alpes, maire de Saint Pierre d’Entremont en Savoie) évoque la courbe du deuil ou courbe du changement (E. Kübler-Ross, 1969). Selon lui, certaines stations de ski européennes (Suisse, Allemagne) sont en avance sur la transition touristique en montagne. S’ils sont plus en avance que la France, c’est qu’ils ont su faire le deuil du modèle de la station de ski tel qu’on l’a connu jusqu’à présent.
La courbe du deuil passe par cinq étapes : le déni, la colère, la négociation, la dépression, l’acceptation. De l’acceptation naît la volonté d’aller vers un nouveau sens, des nouvelles possibilités. Wilfried Tissot considère qu’en France, « on a encore l’impression qu’on a le choix de garder les stations de ski car elles sont nombreuses en altitude, qu’il y a encore de la neige et que ça ramène beaucoup d’argent. C’est compliqué de faire le deuil de cette panacée et de partir sur quelque chose qu’on maitrise moins ».
Il s’agit d’un deuil que doivent faire plusieurs acteurs (élus, habitants, socioprofessionnels, moniteurs, touristes…) à propos d’une seule activité (la neige). Avec l’essor de nouvelles activités 4 saisons en montagne, la répartition des richesses sera très différente. Ce ne seront vraisemblablement pas les mêmes acteurs qui gagneront autant. Les milliers d’euros investis auparavant dans le ski seront réinjectés dans diverses activités. Le tourisme sera alors plus diffus, avec des retombées diffuses, mais celles-ci seront locales et réparties sur l’ensemble des parties prenantes. En France, on peut néanmoins citer Métabief dans le Haut-Doubs, cette station qui, par son travail actuel, montre l’exemple du deuil à faire pour pouvoir mieux répondre aux mutations à venir.
4. La transition du tourisme en montagne : un regard sensible sur le vivant ?
Au-delà des questions de conduite du changement, de gouvernance, et de mutation du modèle des stations, un élément central de la transition a également été abordé : la montagne comme un environnement naturel vivant.
Parmi les discours de lancement des Etats Généraux, on peut retenir les regards de Dorian Labeyre (Président du Syndicat National des Guides de Montagne) et de Marie Dorin-Habert (marraine de ces EGTTM et biathlète française) qui considèrent la montagne comme un espace vivant auquel l’être humain est naturellement relié.
L’homme fait partie de cette immensité et a le devoir d’en prendre soin.
Ces points de vue, on les retrouve avec les intervenants de l’atelier « Consommation ou résonance : la place de la nature dans le tourisme de demain en montagne » avec Raphaël Lachello (historien de l’environnement, Université Grenoble Alpes), Juliette Bligny (DREAL Auvergne Rhône-Alpes) et Julien Libert (auteur du blog aventure Les sentiers du Phoenix). Ils s’interrogent d’ailleurs sur les leviers disponibles pour amener ce regard sensible sur le vivant et la nature.
Julien Libert présente les phénomènes de microaventure et le bivouac, aujourd’hui devenus des activités mercantiles, qui peuvent endommager la nature s’ils sont mal contrôlés. Car, lorsque nous évoluons dans un milieu naturel, nous avons inévitablement un impact et c’est là qu’intervient la responsabilité de chacun dans la préservation du vivant.
L’un des leviers serait alors la (ré)éducation des publics aux milieux naturels dont on a perdu la connaissance, en s’appuyant sur l’exemple des pays scandinaves par exemple. Eux ont cette conscience de faire partie d’un tout, du fait notamment que les territoires sont moins urbanisés et que la frontière ville/nature soit moins présente qu’en France.
Il y a par ailleurs une forme d’opposition entre les objectifs des collectivités territoriales en termes d’indicateurs-clés à atteindre (nombre de nuitées, fréquentation des lits…) et les besoins écologiques à défendre.
Tous s’accordent pour dire que le tourisme a la capacité de donner une image au monde d’un lieu et d’en créer un imaginaire. C’est ce qui fait d’ailleurs que certains lieux sont devenus « instagrammables » et rencontrent des problématiques cruciales de sur-fréquentation.
5. La « montagne d’après » : quel imaginaire ?
Justement, dans l’atelier « L’imaginaire et les récits autour de la montagne », les intervenants Phillipe Hanus (antropologue, CPA Valence-Romans-agglo), Emilie Maisonnasse (Les Passeurs, le Mag), Anne-Claire Font (Lolink, bureau d’accompagnement artistique) et Franck Micheletti (chorégraphe, Ciel Ouvert) s’attachent, avec poésie, à définir cet imaginaire.
Les narrations idéalisées de la montagne évoquent la magie de la neige, l’art gourmand de la raclette, l’authenticité des chalets traditionnels, l’archaïsme des savoir-faire. Mais cette vision féérique contraste avec le luxe, l’industrie touristique, et les aménagements qui entrainent des problématiques environnementales, dont les échos se font de plus en plus présents chez les visiteurs et les populations.
Emilie Maisonnasse suggère de changer d’imaginaire au sein de cet écosystème d’acteurs touristiques. Aujourd’hui, on est focalisé sur le « c’est comme ça et pas autrement ». Il faut maintenant passer au « tout est possible » car le futur est ce que l’on décide d’en faire. C’est notamment ce qu’a entrepris le magazine papier Les Passeurs qui s’appuie sur la méthode du design fiction pour se projeter dans des nouveaux imaginaires qui pourraient, à terme, devenir réalité. Elle encourage notamment à ne plus faire du tourisme de consommation (quelques jours ou semaines par an à divers endroits) mais du tourisme de contribution (sur plusieurs mois à un endroit fixe).
Anne-Claire Font et Franck Micheletti ont choisi de développer des projets artistiques dans les milieux montagnards en considérant le milieu naturel non plus comme un décor pour les artistes, mais faisant partie intégrante de l’œuvre d’art, avec son environnement, ses habitants… Le chorégraphe propose des spectacles alternant promenade, danse et musique au cœur du Vercors, des Baronnies, du massif des Bauges…
il faut passer au « tout est possible », car le futur est ce que l’on décide d’en faire
Ces deux journées riches en temps d’échanges entre de nombreux acteurs sur les sujets fondamentaux liés à l’avenir des massifs alpins constituent la première étape d’une démarche globale et d’initiatives collectives. Afin que ce dialogue apaisé, commun et constructif initié soit maintenu par chaque acteur des Etats Généraux, une déclaration commune d’engagement peut être signée par chacun.
Enfin, des replays et compte-rendu de ces échanges seront disponibles dans les prochains mois sur le site internet des Etats Généraux de la Transition du Tourisme de Montagne.