Quel sera l’avenir des sites touristiques glaciaires dans un monde sans glace ?
C’est la question que pose Emmanuel Salim, chercheur postdoctoral à l’Université de Lausanne, dans son récent article (en anglais). L’auteur évoque le tourisme glaciaire et ses potentielles perspectives d’évolution liées au réchauffement climatique.
Dans son papier scientifique, le chercheur pose d’abord le contexte de sa recherche : le réchauffement climatique provoque de grands changements sur les territoires de haute montagne, notamment car celui-ci accentue le recul (rapide) des glaciers. Mais les glaciers attirent également les visiteurs, en partie car ceux-ci sont amenés – à terme – à disparaitre ce qui entraine paradoxalement une volonté accrue de profiter de ces paysages avant leur disparition. C’est ce qu’Emmanuel Salim et Ludovic Ravanel ont d’ailleurs appelé le Tourisme de la Dernière Chance, en s’appuyant sur le cas de la mer de glace de Chamonix. Le chercheur précise quelques impacts du réchauffement climatique sur le tourisme glaciaire : fin de certaines activités hivernales, accès très insécure voire impossible à certains refuges… Dans un tel contexte, le futur des sites touristiques glaciaires semble compromis.
Nous apprenons que certains articles académiques proposent déjà des stratégies réactives d’adaptation à ces changements pour contrer ses effets potentiels sur les glaciers. Mais ces stratégies ne prennent pas en compte la potentielle disparition des glaciers, et par conséquent, de l’activité touristique qui y est liée. Pour aller plus loin, Emmanuel Salim entend alors questionner trois perspectives d’avenir pour ces sites touristiques sans glace dans son article :
- le développement du géotourisme
- la transformation du tourisme de dernière chance en « dark tourism » (ou tourisme noir)
- l’utilisation de la réalité virtuelle pour reconstruire les glaciers
Le glacier d’Aletsch et le développement du géotourisme
Le site touristique du glacier d’Aletsch, dans le Valais Suisse, est aujourd’hui particulièrement fréquenté pour ses activités hivernales mais ce site est également reconnu pour la qualité de son patrimoine géologique. Celui-ci possède même le label UNESCO qui témoigne de «son esthétique exceptionnelle, son intérêt géologique et géomorphologique et la diversité de ses écosystèmes». Le chercheur suggère que le développement d’une offre de géotourisme pourrait prendre le relai et continuer d’assurer l’existence de ce site touristique lorsque le glacier et les activités hivernales qui en découlent cesseront. Il conviendra néanmoins de développer des produits qui favorisent l’interprétation scientifique de ce patrimoine naturel plutôt que de seulement valoriser sa beauté.
« Ce géotourisme ne doit pas se concentrer seulement sur le glacier lui-même, mais aussi sur la connaissance qu’on en a » indique Emmanuel Salim.
La Mer de Glace de Chamonix et la transformation du tourisme de dernière chance en « dark tourism »
Le Tourisme de la Dernière Chance (Last Chance Tourism) consiste à visiter un site naturel avant sa disparition, comme c’est le cas actuellement du glacier de Montenvers et de la mer de Glace de Chamonix qui chaque année se réduit à peau de chagrin. Le chercheur a précédemment démontré que les visiteurs qui se rendent sur un site glaciaire en disparition sont aussi motivés par le fait de mieux comprendre le phénomène du réchauffement climatique et son impact sur l’évolution du glacier. Cette motivation se rapproche de celle liée au dark tourism ou tourisme noir, lorsque le visiteur manifeste une volonté de mieux comprendre ou de commémorer des événements tragiques.
Le chercheur voit là une opportunité pour les acteurs du tourisme de se saisir de la malheureuse perte de ce paysage glaciaire, notamment de l’emblématique Mer de Glace. Ce lieu – qui n’existerait alors plus – pourrait incarner les conséquences négatives du changement climatique. Cet espace deviendrait alors l’emblème d’un tourisme post-glaciaire où se mêlent à la fois interprétation scientifique et commémoration des glaciers disparus.
« Avec une telle évolution vers un tourisme noir, l’expérience du visiteur serait orientée vers la compréhension de l’effet de l’homme sur l’environnement. L’accent ne serait pas mis sur le glacier mais sur ce qu’il représente » explique Emmanuel Salim.
Par ricochet, la prise de conscience de la responsabilité humaine sur le réchauffement climatique et ses conséquences visibles et catastrophiques sur l’environnement naturel pourrait sensibiliser davantage les visiteurs à adopter des comportements respectueux de l’environnement.
Le glacier de Morteratsch et le recours à la réalité virtuelle
La dernière proposition s’appuie sur les nouvelles technologies et propose de reconstruire les glaciers disparus à l’aide de la réalité virtuelle. Actuellement, une expérience de réalité virtuelle existe déjà pour le glacier de Morteratsch en Suisse. Les visiteurs ont l’opportunité de découvrir l’état passé et futur du glacier. Une étude de Han et al. (2019) démontre que la réalité virtuelle favorise l’engagement, l’émotion ou encore l’expérience d’apprentissage des visiteurs. Cet outil pourrait alors être utile pour faire passer des message forts et impactants auprès des visiteurs, sur l’histoire du glacier et l’explication de sa disparition.