Dans le cadre de la Stratégie de l’Union Européenne pour la Région Alpine (SUERA), un cycle d’ateliers et de conférences s’est tenu les 16 et 17 mars pour amorcer le lancement des Etats Généraux de la Montagne qui auront lieu les 23 et 24 septembre 2021. L’objectif de ce cycle était d’approfondir la thématique des« stations face au changement climatique », autour notamment de l’expérience de Métabief.
Olivier Erard, directeur du Syndicat Mixte Métabief Mont d’Or (SMMO), revient dans cet entretien sur la démarche prospective, entamée depuis plusieurs années par la station du Haut-Doubs, sur la transition climatique.
Quel est votre rôle et celui du SMMO dans la réflexion portée sur la transition climatique et la stratégie d’adaptation de la station ?
Le SMMO a pour objet la gestion et le développement du domaine skiable de Métabief, les remontées mécaniques et la luge d’été – bientôt luge 4 saisons-, ainsi que le tremplin de saut à ski de Chaux-Neuve. La structure est financée par le Conseil Départemental du Haut-Doubs et la Communauté de Communes Lacs et Montagnes du Haut-Doubs.
Je suis détaché du Département pour en assurer la direction, et depuis le 1er janvier 2019, 80% de mon poste est dédié à une mission d’ingénierie visant à étudier et engager la transition climatique de la station. C’est une démarche volontaire de la part des collectivités, qui financent ce poste pour trois ans, reconductible fin 2021. Glaciologue de formation, le sujet est passionnant pour moi.
J’ai proposé de mettre en place cette mission prospective dès 2018 car l’avenir du domaine apparaissait comme bien incertain. Les questions assez lourdes, relatives à la neige de culture notamment, avaient été réglées. Il était temps de se pencher sur la question de la transition de la station avec cette question : comment conserver la même dynamique sans le ski alpin ? Dans la projection d’un territoire sans ski alpin, le chiffre d’affaires est divisé par cinq. Il est nécessaire d’anticiper pour éviter la casse sociale.
Quels sont les effets locaux des changements climatiques déjà constatés sur votre station et sur votre territoire ?
La variabilité de l’enneigement naturel est très forte en dessous de 1000 m d’altitude, et la « garantie » de l’enneigement en saison d’hiver se situe plutôt au-delà de 1200 m. Il est possible de produire de la neige de culture quand la température ne dépasse pas les -3°. Mais, depuis 5 ans, nous n’avons pas eu ces températures en dessous de 1000 m d’altitude. On comprend facilement que nos stations de moyenne montagne et de basse altitude sont particulièrement touchées par le manque de neige.
Nous vivons des saisons hivernales raccourcies, avec des enneigements très variables.
On observe une amplitude forte d’une année à l’autre, et au sein d’une même saison, et ce depuis les années 80 déjà. En période estivale, ce sont les cas de sécheresse qui posent de nombreux problèmes au territoire.
Quels sont les enjeux -environnementaux, économiques et sociaux- à venir pour Métabief et plus largement pour la filière du Haut-Doubs ? Parle-t-on de la fin du ski pour une station comme Métabief ?
Le Modèle Climsnow montre qu’au-dessus de 1100 m, il fait suffisamment froid pour produire de la neige de culture. Mais, quand bien même nous maintenons un certain enneigement sur une partie du domaine, le modèle du SMMO n’est plus du tout attractif pour notre clientèle qui se compose pour 1/3 de séjournants, qui viennent pour la découverte du ski et pour 2/3 d’excursionnistes régionaux.
D’après les projections, la viabilité de ce secteur peut perdurer jusqu’à l’horizon 2040. Alors oui, en 2040 il sera encore possible d’avoir recours à la neige de culture, mais seulement sur notre domaine situé entre 1100 et 1400m d’altitude. C’est une perte de 50% du chiffre d’affaires du SMMO, qui se retrouve alors très déficitaire.
On imagine assez vite les répercussions d’une baisse de l’activité ski alpin sur la station de Métabief. Avec plus de 200 000 journées skieurs par an, la station compte pour 90% des journées-skieurs du Pays du Haut-Doubs, et représente un chiffre d’affaires d’environ 3,6 millions d’euros, soit 95% du chiffre d’affaires total des remontées mécaniques du territoire.
Si la station devait fermer demain, environ 50% de l’activité touristique du territoire serait impactée.
Notre territoire, de par son histoire et son organisation, a toutefois une certaine chance. La polyvalence et la polyactivité sont déjà des pratiques intégrées. Le nordique ne pèse que 20% dans l’activité ski du territoire, mais il est solide et pourra perdurer malgré le changement climatique. Certes, nous devons aujourd’hui rationnaliser les offres, mais nous avons la « culture du nordique ». C’est précieux.
La période 2030-2035 doit amorcer la transition. Il faut envisager d’arrêter l’activité ski alpin et cela conditionne les choix faits aujourd’hui.
Quels sont justement les choix qui ont été faits pour amorcer cette transition en douceur ?
Sept scénarii ont été envisagés en fonction des projections climatiques et proposés au Département du Haut-Doubs, partie prenante du SMMO. En décembre 2020, le Département a pris une décision forte en actant la fin du ski alpin pour 2030 et en adoptant un projet de transition.
Pendant 10 ans encore, il accompagnera financièrement le SMMO afin de rembourser la dette en cours. Le déficit annuel du SMMO est aujourd’hui comblé à 50% par le Département et à 50% par la Communauté de Communes Lacs et Montagne. Le Département supporte, en plus, les pertes exceptionnelles liées par exemple à des hivers particulièrement défavorables à l’activité.
De plus, 7 millions d’euros de subvention exceptionnelle sont fléchés vers le développement de nouveaux produits en soutien de cette transition : développement d’une luge 4 saisons – et non plus seulement « été » -, projet de pôle outdoor sur le stade de Chaux-Neuve , restructuration des remontées mécaniques. Ces projets sont notamment soutenus par la Région Bourgogne-Franche-Comté et le Commissariat de Massif du Jura.
Mais la réflexion sur le changement de modèle est encore antérieure. En 2015, une première tranche d’investissement sur la neige de culture aboutie. Se pose alors une question « Que faire des vieilles remontées qui n’ont pas été entretenues ? ». A l’époque, le projet prévoyait de remplacer toutes les remontées par deux débrayables, pour un coût de 15 millions d’euros. Je n’étais déjà pas très convaincu du bien-fondé de ce projet. En effet, dès 2016, nous avions des projections climatiques et depuis 2013, des premiers retours des sondes « neiges de culture ». Ces données ont permis d’alerter sur le potentiel non fonctionnement d’un des deux télésièges prévus, qui serait à l’arrêt un hiver sur deux en raison du manque de neige.
Se pose alors une seconde question « Si nous les conservons, que faire des vieux équipements ? ». Je rencontre en 2018 la société SARRASOLA qui a développé une méthode pour mieux comprendre les pathologies des vieux équipements : la méthode EVE pour « Evaluation de la Vulnérabilité des Equipements ». Un capteur électromagnétique analyse l’état de santé des équipements. Les résultats permettent d’établir des programmes de travaux précis pour maintenir les appareils. Sur six appareils analysés, un seul reçoit un très mauvais diagnostic. Les travaux de celui-ci – reprise de tous les massifs béton, motorisation – coûteront 1,8 million d’euros. Les autres équipements peuvent être maintenus avec un entretien annuel dont le montant est de 600 000 euros par an.
Pour les 10 ans à venir, nous allons optimiser et faire durer l’existant. Nous avons également stoppé en 2018 les investissements dans la production de neige de culture.
Malheureusement, cette méthode EVE est peu utilisée dans le secteur du ski alpin. Elle se heurte à la politique classique d’investissement menée depuis des décennies.
D’un point de vue financier donc, d’ici 2030, nous réduisons notre dette afin d’atteindre l’équilibre. La fermeture de la station en 2030 n’impacterait pas financièrement le SMMO.
En parallèle nous travaillons sur la fidélisation des clientèles et localement à la mise en valeur de ce parti pris vertueux pour préparer le terrain à de nouvelles activités.
Quelles seront les offres qui prendront le relais ?
Comme évoqué précédemment, nous travaillons sur une luge 4 saisons et sur le développement d’un pôle outdoor à Chaux-Neuve. Mais la clé c’est désormais d’élargir la réflexion et d’embarquer le territoire dans cette démarche. Je crois qu’il a d’ailleurs pris conscience qu’il est temps d’accélérer la transition.
Concrètement, j’interviens comme « agitateur » auprès des différents acteurs. Je les accompagne en termes d’ingénierie et je leur apporte un soutien financier. Nous avons par exemple financé une étude pour réaménager les espaces trail et VTT de la Communauté de Communes Lacs et Montagne. Nous accompagnons l’association Apach’Evasion dans la structuration de la filière handisport. Nous accompagnons l’association Espace Mont d’Or, qui organise l’Ultra Trail des Montagnes du Jura.
Nous essayons également de co-construire avec le Parc Naturel Régional du Haut-Jura un projet autour de produits outdoor et patrimoniaux.
Le territoire est conscient des enjeux et de la nécessité d’accélérer la transition. Comment travaillez-vous en ce sens avec les différents acteurs ?
En parallèle de ces aspects financiers ou techniques, nous sommes en train de construire une photographie commune. Accompagnés par le bureau d’étude Dianeige, nous entamons sur 2021 une démarche de Masterplan, qui conduira à diagnostiquer l’éco-système du territoire, à faire émerger les points sensibles, à imaginer des infrastructures quand il n’y aura plus de ski alpin… Il y aura par exemple des friches qui vont rester, du fait des conséquences du changement climatique et de la crise sanitaire. Quelles sont les opportunités foncières ? Quelles sont les opportunités marketing ?
Vous imaginez la co-construction du nouveau modèle touristique pour le Haut-Doubs. Quels acteurs espérez-vous fédérer et comment ?
Le tourisme doit émaner du territoire. Pour compléter la démarche de Masterplan, qui peut s’appuyer sur une vision un peu « hors-sol », nous avons organisé un atelier de Design Fiction avec l’agence Pop Rock. Une trentaine de personnes ont participé, dont 1/3 d’élus, 1/3 de socioprofessionnels et 1/3 de jeunes issus de formations diverses (agriculture, tourisme, sport). Il leur a été demandé de lire un dossier en amont. Au final, on n’a presque pas parlé de tourisme, mais d’alimentation, de transport, de dynamisme, de foncier, de bilan carbone… Ce type d’exercice permet de se projeter dans une photographie du futur, dans une image qui vient du cœur et du ventre. Tous les scénarii qui émergent sont positifs. Une fois passée l’acceptation du changement et de ses conséquences, il faut pouvoir se projeter dans un futur désirable pour remonter.
Les acteurs professionnels de l’OUTDOOR sont-ils sensibilisés et prêts à agir ? Et les élus du territoire ?
Sur le territoire, la majorité des socioprofessionnels est sortie de la zone de déni ou de colère. Il faut saisir les opportunités en travaillant avec les gens qui sont prêts, mais laisser du temps à ceux qui en ont besoin. Ceux qui s’expriment aujourd’hui dans ces démarches sont ceux qui ont digéré et accepté le choc.
Quant aux élus, de par leur décision, on peut dire qu’ils « ont fait le deuil » du modèle basé sur le ski alpin.
Certains restent toutefois prudents et aimeraient y croire encore un peu. Le fait que le Département ait pris cette décision – l’arrêt du ski alpin en 2030 – en pleine conscience, marque l’acceptation des enjeux.
C’est le résultat de cinq ans de démarches participatives, de points d’incrémentation pour sensibiliser, de décisions prises pas à pas…
A la fin de l’automne 2021 seront livrés les éléments issus du Design Fiction et le Masterplan. Il faudra alors définir la conduite de projet : quel pilote ? quelle gouvernance ?
Encore quelques questions en suspens donc dans cette longue marche transitoire.