« Le tourisme de demain : résilient, bienveillant et bas carbone »
« Une participation à la restauration de la biodiversité »
« Un tourisme qui contribue à la lutte contre les changements climatiques »
« Un outil pour faire évoluer durablement les mentalités »

Allier devoir de mémoire et développement durable, le pari réussi du Centre Juno Beach

Allier devoir de mémoire et développement durable, le pari réussi du Centre Juno Beach présenté par l’équipe de direction du musée

 

Situé à Courseulles-sur-Mer dans le Calvados, ce musée canadien des plages du Débarquement est le premier musée de Normandie engagé dans une stratégie de décarbonation et le porteur d’une démarche responsable encore plus large.

Nathalie Worthington (NW), directrice en charge de la démarche de développement durable du musée et Maxime Bouché (MB), directeur adjoint, responsable des boutiques et de la stratégie bas carbone, nous présentent le retour d’expérience de ce lieu de mémoire interculturel et ouvert sur le monde, qui contribue au déploiement d’une conscience citoyenne sur les enjeux du développement durable.

 

Le Centre Juno Beach, c’est quoi ?

« La vision qui a guidé l’orientation du Centre Juno Beach depuis sa conception se base sur trois missions principales : créer un lieu à la mémoire du rôle du Canada pendant la Seconde Guerre mondiale ; se souvenir et commémorer les sacrifices de tous les Canadiens qui ont contribué à la victoire alliée sur tous les théâtres d’opération et l’effort de guerre au Canada ; enfin, éduquer les adultes, les jeunes d’aujourd’hui ainsi que les générations à venir sur le rôle joué par le Canada et les Canadiens dans la sauvegarde des libertés dont nous bénéficions aujourd’hui. Le Centre Juno Beach est un centre d’interprétation où le travail de mémoire s’articule entre les enjeux d’hier, d’aujourd’hui et de demain. » NW

Ils ont livré bataille pour protéger notre pays et notre liberté. Sauvegardons maintenant ensemble ce qu’ils ont défendu

Un des points forts de l’institution consiste à offrir une médiation canadienne aux visiteurs. Par exemple, les visites guidées des bunkers sont effectuées par des jeunes guides du musée, eux-mêmes canadiens. Telle était la volonté des vétérans canadiens, fondateurs du musée en 2003, qui ont transmis le flambeau de la mémoire à des jeunes canadiens du même âge que le leur en 1944, afin que ces jeunes parlent aux jeunes. Le but étant de poursuivre et faciliter la transmission de la mémoire.

Visite Centre Juno Beach développement durable
©CJB-G.Wait

 

En 2019, la célébration du 75e anniversaire du Débarquement marque un cap pour la fréquentation du Centre avec plus de 103 000 visiteurs. Est-ce la naissance de votre prise de conscience ou y’a-t-il eu d’autres facteurs ?

« La prise de conscience de la nécessité d’inclure la variable environnementale dans le modèle économique était présente bien avant 2019, mais cette année-là, plusieurs facteurs sont venus favoriser la mise en mouvement institutionnelle.
Pour commencer, des inquiétudes pour la péninsule Juno liées au pic de fréquentation à 103 000 visiteurs et aussi la menace d’un important projet immobilier sur le Parc Juno. La même année, je renouais avec le développement durable découvert dans une vie antérieure au Mémorial de Caen et je participais à un voyage d’étude sur ce thème, organisé par le CRT à Amsterdam. Dans le même temps, Maxime Bouché rejoignait l’équipe, passionné par les questions environnementales. Alors que je cherchais à inciter l’ensemble de l’équipe à intégrer des notions de développement durable dans leur quotidien au travail, avec assez peu de résultat, la COVID est arrivée. Cette période favorable au télétravail a permis la construction d’une démarche de développement plus durable, nourrie par le premier Bilan de gaz à effet de serre (BEGES) effectué par Maxime Bouché et la rédaction en parallèle d’un plan stratégique. Ce plan reflétait le travail accompli au profit d’une bonne compréhension des dérèglements climatiques et une envie d’agir en intégrant cette menace dans tous les projets à venir. Le site sur lequel se trouve le Centre Juno Beach rappelle en effet au quotidien le risque de la montée du niveau de la mer, vu que le musée est entouré d’eau à 300°. » NW

Et si aujourd’hui la mer monte, le musée est sous l’eau.

Le BEGES a permis de faire une cartographie des émissions du musée et à partir de là de construire un plan d’action. Ce premier BEGES a révélé que plus de 80% des émissions de Gaz à Effet de Serre (GES) du Centre étaient uniquement liées au transport des visiteurs. Grâce à ce type d’ordres de grandeurs, des priorités ont émergé et le plan de Développement Durable a été élaboré.

« On a très vite compris qu’il ne fallait pas se limiter à un axe de décarbonation, mais plutôt avoir une approche plus globale, embrasser les dimensions sociale, environnementale et économique. Nous nous sommes alors appuyés sur de grandes orientations nationales et internationales que constituent les Objectifs de Développement Durable (ODD) de l’ONU, les Accords de Paris ou encore la Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC) de la France, en parallèle des connaissances que nous avions déjà à titre personnel sur la thématique. » MB

La première version du plan élaboré à 360° a été envoyée à toutes les parties prenantes en septembre 2020 : locales, départementales, régionales… C’est la Région Normandie qui a décidé d’aider le musée en le positionnant sur un fond REACT-EU permettant de financer des investissements à hauteur de 600 000€.

Afin de rendre compte et de suivre la démarche globale du musée, le premier rapport RSE, dont la mise à jour sera annuelle, a été rédigé et partagé en mars 2023.

 

Comment s’est opéré votre lancement ? Avez-vous priorisé des actions ?

« Les actions à zéro coût ont été les premières lancées, suivies par celles finançables dans le cadre de notre budget de fonctionnement annuel et ensuite celles dépendantes d’aides à l’investissement. »  NW

démarche de développement durable au Centre Juno Beach

« Ainsi, après avoir compris que la majorité des émissions du CJB étaient liées au transport des visiteurs, une des premières choses réalisées a été la mise en place d’un tarif bas carbone dès 2021. L’objectif est d’inciter les visiteurs à venir différemment sur un site culturel comme le CJB, c’est-à-dire de manière décarbonée en utilisant le bus, le train ou le vélo. J’ai pu obtenir des accords avec la SNCF et le groupe Kéolis. Aujourd’hui, sur présentation d’un ticket de transport à l’accueil du musée, les visiteurs bénéficient d’un tarif plus qu’avantageux, inférieur au tarif réduit, soit une remise d’environ 30%-33% sur le prix du billet. C’est pour nous un véritable parti pris institutionnel. Il est à noter, avec cet exemple, que le mode de transport des visiteurs ne dépend pas du musée mais des visiteurs eux-mêmes. De prime abord, nous pourrions balayer ce poste du BEGES en nous dédouanant et en expliquant que ce n’est pas de notre ressort. Au contraire, nous avons cherché un argument positif, la mécanique de baisse de prix, pour influencer les visiteurs du musée à décarboner leur mode de transport et in fine influencer à la baisse le BEGES du musée. » MB

On a été prêt à prendre le risque d’une relative perte d’exploitation car nous étions aidés par des fonds publics

« Derrière, on a conscience que les gens font de vrais efforts pour venir jusqu’au CJB au moyen de transports décarbonés. Pour les remercier de cette contribution à notre propre décarbonation, on est prêt à faire cette remise. » MB

 

Sur quels principaux chantiers repose aujourd’hui votre stratégie pour un développement plus durable ?

La démarche du CJB repose sur quatre piliers et des valeurs associées qui ne sont pas sans rappeler celles des combattants canadiens de la Seconde Guerre mondiale :

  • La sobriété par la réduction de notre empreinte environnementale et l’émergence d’une économie circulaire,
  • Le ralliement à travers notre engagement envers nos visiteurs et nos collaborateurs,
  • La préservation par des actions en faveur de la biodiversité,
  • Et l’entraide pour agir avec les autres.

La raison d’être du musée demeure l’histoire et la mémoire des Canadiens au cours de la Seconde Guerre mondiale. Cependant, les passerelles entre cette mission et une démarche de développement durable sont nombreuses et symboliques.

 

Comment sensibilisez-vous les visiteurs à votre démarche ?

« Dès le début, du fait que nous sommes dans une démarche sincère de volonté de partage face aux enjeux majeurs, nous avons eu à cœur de communiquer sur ce que nous faisions, aidés en partie par des professionnels de la communication responsable. De surcroît, dans le musée lui-même, une signalétique a été mise en place. Puis en 2023, le temps est venu de développer des outils de médiation pour faciliter la sensibilisation de nos visiteurs. » NW

Dans beaucoup d’entreprises, on a une section Développement Durable, RSE… Nous, on a voulu avoir intégrer cette dimension aussi dans notre offre

Dans le parcours visiteur, Catherine Quintal, Responsable accueil et médiation du musée, a travaillé à établir un lien entre hier, aujourd’hui et demain. Comment les enfants recyclaient-ils pendant la guerre ? (à l’époque toute matière était recyclée pour alimenter le conflit) – Comment recycle-t-on aujourd’hui et pourquoi ? Comment faudra-t-il que l’on fasse demain ? Ces questions et notions sont désormais intégrées dans le parcours jeune public « Explore Juno » à travers une série de jeux sur support numérique ou tactile.

Démarche développement durable du Centre Juno Beach
Musée Juno Beach, le parcours visiteur (©Ph.Delval)

L’écoconception des expositions constitue un autre levier de sensibilisation, avec notamment la dernière exposition sur le Raid de Dieppe, dans laquelle 95% de l’exposition précédente ont été réemployés, grâce au Responsable technique du musée. Le public est sensibilisé à travers de discrets petits cartels disséminés dans l’exposition. Il en sera de même pour le 80è anniversaire avec la prochaine expo sur la RCAF, à laquelle œuvre actuellement Hélène Cavillon, Assistante aux collections et à la médiation.

 

L’événementiel est également un bon vecteur de sensibilisation. D’abord expérimentée en 2022 par Ophélie Duchemin, Chargée de communication du musée, à l’occasion d’un repas-concert de la Fête de la Saint-Jean, l’éco-socio-conception a été pratiquée lors des célébrations des 20 ans du musée en juin 2023. Tout a été fait pour qu’un minimum de déchets soit produit, des mesures de recyclage ont été mises en place ainsi qu’une réflexion sur l’empreinte carbone des événements.

 

La démarche du musée est relayée en amont des visites de groupes, au moment des réservations, grâce à Rebecca Le Savoureux, Responsable des ventes. Elle contribue également à sensibiliser notamment les scolaires sur site avec, par exemple à travers des outils d’accompagnement à la gestion des déchets.

 

Démarche développement durable du Centre Juno Beach boutique articles responsablesUn dernier exemple parmi de nombreux autres : celui de la boutique plus responsable. « Nous y allons par étape pour une raison toute simple : si l’on supprime l’ensemble de nos produits carbonés aujourd’hui, on se tire une balle dans le pied en mettant à mal l’équilibre financier. Autrement dit, c’est la fin du musée. L’idée est d’expliquer au visiteur, à travers un système de balisage, pourquoi il a plus intérêt à acheter le produit de droite qui va peut-être être plus cher mais avec un score carbone plus bas plutôt que l’autre, beaucoup plus carboné. Ça prend du temps, ce n’est pas révolutionnaire (tout n’est pas changé du jour au lendemain), c’est une phase de transition. Il y a un cas très concret qui est une véritable victoire, c’est la broche coquelicot ! Depuis 2 ans, nous travaillons avec une dame de Courseulles qui tricote à la main les broches que nous vendons en boutique. Nous avons construit ensemble le schéma économique (besoin de marge de chacun) et le cycle de vie (coton GOTS utilisé, une des conditions posées pour le référencement) du produit pour coller au mieux à la demande. Cette année nous avons vendu presque 1000 broches ! C’est plus que les pins fabriqués à l’autre bout du monde. Chaque année, nous nous posons afin d’étudier la santé des modèles économiques de chacun. Pour moi, c’est une vraie victoire. Des distributeurs qui sont prêts à écouter leurs fournisseurs à ce niveau-là, il n’y a en pas beaucoup je pense. » MB

 

On voit que l’engagement ne porte pas que sur la réflexion carbone, mais aussi sur le champ social et sur la biodiversité. Par exemple, des chantiers participatifs sont régulièrement mis en place pour lutter contre des espèces invasives sur le Parc Juno qui entoure le musée.

« En forêt de Cerisy, dans laquelle les soldats Canadiens ont travaillé pendant la Seconde Guerre mondiale pour couper du bois et ravitailler les forces armées, le musée a financé une opération de reboisement. Un programme de donation permettant de continuer les opérations de reboisement va bientôt voir le jour.
Nous essayons de nous saisir de tous les sujets car ils nous paraissent tous nécessaires. Vu l’état de la situation, il faut qu’on arrive à les traiter tous en même temps ! » MB

Démarche développement durable Centre Juno Beach
Une opération de ramassage des déchets

 

Comment votre démarche s’est-t-elle répercutée sur votre exploitation financière dans un contexte post-COVID ?

« A noter que sans l’aide financière que la Région Normandie nous a apportée et la confiance qui nous a été accordée par nos dirigeants canadiens, nous aurions mis beaucoup plus de temps à entrer dans l’action de manière significative. » NW

Le bilan de gaz à effet de serre est une charge supplémentaire tous les ans. Mais sur d’autres sujets des économies ont été faites !

Démarche développement durable Centre Juno Beach économie circulaire« D’abord, il faut démystifier le coût d’un BEGES. Au CJB, c’est une prestation extérieure de moins de 2 000 € couplée à du temps en interne, à savoir le mien, et c’est surtout là l’investissement. Mais les résultats sont là. Le musée a diminué sa consommation électrique de 50% depuis 2019, grâce notamment à un passage aux éclairages Led, à l’amélioration de la gestion des cinq pompes à chaleur et à l’installation d’un carport solaire. Si on prend le tri des déchets, nous avons identifié des plus-values sur chacune des filières de recyclage. Les bouchons plastiques par exemple, soit ils sont donnés à une association pour l’achat de fauteuils roulants, soit nous les réutilisons en interne pour fabriquer des petits portes clés vendus en boutique à petit prix (économie circulaire). Aussi modeste soit-il, c’est un nouveau revenu pour le musée ! La petite action ou le gros investissement, tout est nécessaire et laisse le champ à des initiatives internes ou externes. » MB

Finalement, les budgets s’équilibrent plutôt bien. Aujourd’hui, grâce aux budgets annuels de fonctionnement et grâce aux éco gestes à zéro coût, la démarche de développement durable est devenue organique.

 

Comment menez-vous cette politique en interne ? Des secrets à partager pour une bonne gouvernance ?

« La nécessité dans tous projets RSE ou développement durable est d’avoir une direction qui porte et déploie la stratégie et une équipe impliquée ! » MB

Amener le personnel à un socle commun de connaissances est indispensable

« Pour arriver à cela, il faut de la persévérance et un travail par groupes d’acteurs pour aller chercher des sources d’inspiration, des exemples, de la compréhension pour tous. Au sein du personnel, certains seront plus sensibles aux questions sociétales (bien-être au travail, engagements solidaires, chantiers d’inclusion), d’autres seront plus intéressés par les questions de recyclage parce qu’ils sont plus manuels, d’autres encore par les grands enjeux de décarbonation. Certains auront une vue globale et d’autres plus limitée à leur champ d’action. Ce sont tous ces ressorts qu’il faut aller chercher pour que chacun trouve du sens à l’action et lui en donne en retour.
L’équipe de direction doit donc s’impliquer à fond aussi sur ce front-là et quand les convictions personnelles et le sens de l’engagement sont moteurs, cela peut faire faire de grandes enjambées. » NW

L'équipe du musée Centre Juno Beach démarche de développement durable
L’équipe du Centre Juno Beach

 

Quels moyens d’action pour embarquer vos confrères du monde culturel dans cette démarche ?

« Le tarif bas carbone va peut-être être déployé à l’échelle régionale par le CRT. Pour nous, c’est une petite victoire. Ceci grâce au fait que la Région Normandie s’est montrée intéressée et a soutenu notre plan d’action qui comprenait des investissements en faveur des mobilités douces. Avec nous, ils ont un site qui développe une sorte de modèle bas-carbone qui peut être dupliqué. » MB

Le collectif commence à se mettre en place et c’est comme ça qu’on va arriver à décarboner l’ensemble des sites culturels comme les nôtres

« Nous intervenons aussi régulièrement dans des réunions. Dernièrement, le ministère de la Culture nous a fait intervenir lors de leur séminaire annuel. C’est ça faire avec les autres, c’est aussi partager ce que l’on fait et expliquer pourquoi on le fait. C’est aussi expliquer les difficultés rencontrées pour essayer de les surmonter. Partager pour collectivement changer. » MB

« Souvent on me dit “vous faites ça pour la planète », mais pas du tout. La planète se débrouille très bien sans nous. Demain quand il fera trop chaud, qu’il n’y aura plus de ressources alimentaires, elle ira très bien. Nous un peu moins ! » MB

« Souvent, on nous pose la question du lien entre la mémoire et le développement durable. Pas évident pour tout le monde, et pourtant… En 1944, la guerre était mondiale et l’occupation de l’Europe trainait son cortège de souffrances. Aujourd’hui, les désordres climatiques au niveau mondial menacent eux aussi la paix et les démocraties. Une démarche de développement durable, c’est un engagement qui s’inscrit dans les pas de ceux qui se sont sacrifiés pour la paix et la liberté dont nous avons pu bénéficier depuis maintenant près de 80 ans. » NW

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