« Le tourisme de demain : résilient, bienveillant et bas carbone »
« Une participation à la restauration de la biodiversité »
« Un tourisme qui contribue à la lutte contre les changements climatiques »
« Un outil pour faire évoluer durablement les mentalités »

Isabelle Frochot, Maitre de Conférences HDR à l’Université Savoie Mont Blanc nous offre sa vision des enjeux du tourisme

Isabelle Frochot Maitre de conférences Université Savoie Mont Blanc
Isabelle Frochot est Maitre de Conférences HDR (Habilitée à Diriger des Recherches) à l’Université Savoie Mont Blanc, membre du laboratoire IREGE et du Labex ITTEM. Elle encadre également le projet de thèse de notre collaboratrice Ilse de Klijn sur les sujets de l’itinérance touristique et de la transformation durable des comportements.

Pourriez-vous vous présenter brièvement, ainsi que votre parcours ?

Je suis Maître de Conférences en gestion à l’Université Savoie Mont Blanc, dans le domaine du marketing. Je suis spécialisée dans le comportement du consommateur, et plus spécifiquement dans le comportement du touriste. J’ai obtenu un DESS en économie du tourisme à Aix en Provence puis je suis partie faire une césure en Ecosse, où je suis finalement restée. J’ai eu droit à une bourse de thèse de Manchester Metropolitan University pour étudier la construction de la satisfaction des consommateurs dans la visite de sites patrimoniaux. J’ai ensuite obtenu un poste de Maître de Conférences à la Scottish Hotel School de l’université de Strathclyde. Je suis rentrée en 2000 en France et j’exerce depuis à mon poste actuel à Chambéry.

 

Quelles sont les thématiques de recherche sur lesquelles vous travaillez ?

Au cours de ma thèse je m’intéressais plutôt à la satisfaction mais aujourd’hui, je travaille spécifiquement sur l’expérience client dans le contexte du tourisme. J’aime étudier l’évolution de l’expérience touristique chez le visiteur jour après jour, comprendre comment elle s’organise, se développe, quelles sont les dynamiques qui vont avoir lieu pendant l’expérience touristique. J’ai toujours travaillé sur les comportements des consommateurs, mais depuis quelques années je travaille également sur les résidents, notamment pour une étude sur le phénomène d’overtourism à Annecy. Prochainement, je vais me pencher sur les thématiques de la santé en altitude pour un projet en collaboration avec des chercheurs en médecine du CHU de Grenoble. Notre objectif sera de comprendre l’impact de l’altitude sur la santé des touristes en vacances.

 

Pourquoi avez-vous choisi d’être enseignante-chercheuse ?

C’est une vaste question ! A la fin de mes études j’avais pourtant juré que jamais je ne serai enseignant-chercheur comme mes parents. Mais parfois ça nous rattrape…
Ce qui me plait dans le volet enseignement, c’est la transmission. C’est un beau métier d’avoir de véritables échanges avec les étudiants. On construit ses propres cours, et la dynamique d’interaction avec les étudiants est un aspect que j’apprécie particulièrement.
Pour le volet recherche, c’est parfois difficile car on manque de temps lorsqu’on cumule avec de l’enseignement et des tâches administratives chronophages. Mais en même temps, nous avons moins de pression que d’autre chercheurs. Nous sommes libres de choisir les sujets qui nous intéressent, d’aller au fond des choses, de creuser les éléments importants de phénomènes qui nous tiennent à cœur.

Enfin, ce qui est important pour moi aussi, c’est l’absence relative d’enjeux pécuniers du fait d’exercer à l’Université .

 

Vous avez longtemps dirigé le Master Management et Développement du Tourisme à l’IAE Savoie Mont Blanc, et vous intervenez encore aujourd’hui au sein du nouveau Master Management et Design du Tourisme en Transition. Que souhaitez-vous transmettre aux étudiants ?

C’est un autre vaste programme… Je crois que, en tant qu’enseignant-chercheur, nous fournissons des connaissances et nous encourageons les étudiants à questionner et solutionner les enjeux qu’on rencontre dans le monde du tourisme. Je souhaite leur transmettre une capacité à remettre en cause les systèmes et apporter des solutions.

Le greenwashing ça m’insupporte.

J’ose espérer qu’en sortant du Master, ils auront alors une capacité à réfléchir et trouver des solutions créatives aux enjeux du secteur. C’est sur le sujet des mentalités qu’on a le plus de mal à faire bouger les choses, touristes comme acteurs. Pour moi, le gros enjeu est là.

 

Selon vous, que peut apporter la recherche académique à des acteurs privés et publics du tourisme ?

La recherche a souvent une mauvaise image car elle est complexe, jargonneuse, et elle peut paraitre lente par rapport au monde du consulting. Mais elle n’a justement pas vocation à faire du consulting. Sa vocation est d’analyser des mécanismes, de comprendre comment fonctionnent certains systèmes, et d’apporter des solutions de fond. Cela demande du temps et s’applique souvent à un sujet réduit pour être plus pertinente, un sujet qui n’est pas toujours exploitable sur l’ensemble du secteur touristique.

La recherche académique a en général 15-20 ans d’avance sur le consulting.

Elle va permettre de poser les bases de la compréhension de phénomènes sur lesquels le consulting pourra s’appuyer. Par exemple, dans le marketing expérientiel, l’un des articles fondateurs date des années 1980 (Holbrook et Hirschman, 1982). Mais les premières applications managériales de ce champ se situent plutôt dans les années 2000.

Pour autant, nous avons besoin que les universitaires sachent mieux communiquer leurs travaux, qu’ils puissent valoriser leur recherche sans décourager le public avec un discours trop inintelligible. On nous encourage de plus en plus à publier dans des magazines accessibles de type The Conversation, à écrire dans des revues appliquées aussi. A l’Université Savoie Mont Blanc, nous avons aussi un cycle de conférences grand public (les Amphis Pour Tous). Les chercheurs proposent un sujet et s’il est retenu, celui-ci est présenté dans 4 villes différentes. C’est un très bon exercice pour les chercheurs. En tout cas je trouve que c’est stimulant car en travaillant sur le tourisme, ces sujets font facilement écho dans l’assemblée. C’est toujours source de beaucoup de retours et d’échanges très riches.

 

Selon vous, quels sont les principaux enjeux actuels auxquels l’industrie touristique doit faire face ?

Les enjeux sont nombreux, je ne reviendrai pas en détails sur le réchauffement climatique et les pollutions diverses et variées. Mais c’est la pollution de l’air qui m’interpelle. Je questionne de plus en plus l’existence des vols low-cost… quand on encourage le vol aérien avec des prix de billets à 15-20€, il est difficile de rivaliser en tentant de prôner des modes de transports plus doux. Je suis effarée également par le niveau de pollution des navires de croisières. Quant aux vols touristiques dans l’espace, je n’arrive pas à comprendre que l’on puisse les autoriser quand on connait l’état actuel de notre planète et la vitesse exponentielle de sa dégradation.

Peut-être que l’un des leviers les plus importants serait que les destinations/les autorités publiques prennent plus en main leur rôle de garant d’un développement touristique durable. Si on regarde l’Histoire du tourisme, on comprend que ce sont les destinations qui ont toujours pris les décisions politiques impactantes. Sans le soutien des autorités publiques, il me semble compliqué de faire évoluer l’industrie touristique vers une industrie plus durable.
Un autre enjeu qui m’interpelle c’est l’overtourism, qui est le résultat de la croissance économique. J’ai peur que, malgré une pause conséquente liée à la pandémie du Covid, on revienne au même taux de croissance des déplacements qu’avant (environ +6% au niveau mondial chaque année). Je m’interroge sur la capacité de la planète à faire face à un nombre aussi conséquent de touristes.

 

Et vous, comment imagineriez-vous la « transition touristique » ?

J’ai remarqué dans les débats actuels que lorsque l’on essaye d’inciter au développement durable, on rejette rapidement cette idée en évoquant systématiquement l’argument économique. On oppose trop rapidement l’argument écologique à l’argument économique (la fin du mois avant la fin du monde) . Mais on ne va nulle part avec ces arguments-là, et on se retrouve vite dans une impasse. Aujourd’hui il faut qu’on arrive à entendre que quelqu’un qui réfléchit à des solutions de tourisme durable a aussi de la valeur.

Le plus gros challenge c’est le changement de comportement.

Que ce soit celui des clients, des acteurs ou des décideurs touristiques. Pour moi, c’est par là que la transition se passera même si on a beaucoup de travail. En Suisse par exemple, une loi est passée pour limiter le taux de résidences secondaires dans les stations de ski afin d’encourager une vie plus viable à l’année. C’est intéressant qu’un pays ait eu le courage de prendre une telle décision, cela montre une nouvelle fois que c’est à l’échelle des destinations que les décisions politiques se prennent. Les initiatives des acteurs privés sont très intéressantes mais ce n’est pas suffisant.

 

Sur quels projets en lien avec la transition touristique êtes-vous mobilisée aujourd’hui ?

J’ai beaucoup de projets en lien avec la transition touristique. J’encadre actuellement deux thèses. Une première thèse sur l’itinérance qui est très intéressante car ce dont on se rend compte dans les recherches en tourisme pour l’instant, c’est que nous avons beau sensibiliser et engager les visiteurs dans des expériences en nature, ils reprennent leur comportement classique dès leur retour à leur domicile. Mais il semblerait que l’itinérance, contrairement à d’autres expériences touristiques, ait un potentiel de transformation intéressant vers des comportements pro-environnementaux. La seconde thèse touche au phénomène d’acculturation. Les nouvelles clientèles qui arrivent aujourd’hui en montagne sont démunies face à cet environnement. Elles ne connaissent pas les codes, se mettent en danger, entrainent des conflits d’usage… souvent à leurs dépens. Dans cette thèse, l’idée est de tester des protocoles qui faciliteront l’acquisition des codes de la montagne par ces néo-visiteurs.

Nous travaillons également sur un projet avec la Métro de Grenoble. Durant l’été 2022, des bivouacs et des refuges temporaires vont être mis en place à l’arrivée du téléphérique de la Bastille pour permettre à un public défavorisé de la métropole de Grenoble de se familiariser avec la culture de la montagne. C’est un projet très intéressant, nous avons formé une équipe internationale de chercheurs et nous allons nous régaler sur ce projet.

Enfin, si j’avais des financements et des moyens, j’aimerais avoir une base de touristes que je pourrais suivre dans le temps, années après années, pour évaluer l’impact de l’expérience touristique sur le long terme. On verra si nous pouvons trouver des financements mais c’est un projet que je garde en ligne de mire.

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