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« Une participation à la restauration de la biodiversité »
« Un tourisme qui contribue à la lutte contre les changements climatiques »
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Réinventer le modèle de la montagne face au réchauffement climatique

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Dans le podcast intitulé De cause à effets, le magazine de l’environnement disponible sur France Culture, un épisode dédié aux territoires de montagne interroge les effets du réchauffement climatique sur les territoires de montagne et sur la nécessité de d’inventer un nouveau modèle. Le 20ème siècle a vu le développement massif de stations de sports d’hiver ce qui a généré l’expansion d’un tourisme principalement focalisé sur le ski. Mais la montagne est également un espace qui ressent grandement les conséquences du changement climatique. Ce dernier impacte de façon notable ses fonctions vitales telles que le tourisme, la ressource en eau ou encore l’économie agropastorale.

Comment parvenir à un meilleur équilibre ? Trois intervenants donnent leur avis :

  • Guillaume Desmurs : journaliste et auteur d’Une histoire des stations de sports d’hiver
  • Emmanuelle George : directrice de l’unité développement des territoires montagnards de l’INRAE de Grenoble
  • Marie-Antoinette Mélière : climatologue, ancienne responsable scientifique du site saga-sciences climat du CNRS

Les effets du réchauffement climatique en montagne

« De quelles façons les effets du réchauffement se concrétisent-ils ? »

M-A. Mélière : Le réchauffement moyen mondial de +1°C (+2°C en France) ces dernières décennies entraine des évolutions récentes et exceptionnelles dans les territoires de montagne : les glaciers régressent de façon très significative : en 40 ans, les Alpes ont perdu en moyenne 40 mètres et au cours de la canicule de 2022, les Alpes ont subitement perdu 4 mètres ; la neige est moins épaisse et fond 3 semaines plus tôt ; la glace dans le pergélisol fond de façon anormale et entraine d’immenses écroulements de parois entières dans les Alpes, des infrastructures telles que les refuges sont alors fragilisées.

En 40 ans, les Alpes ont perdu en moyenne 40 mètres et au cours de la canicule de 2022, les Alpes ont subitement perdu 4 mètres.

« Avec le réchauffement climatique et ses effets, comment préserver la ressource neige ? »

E. George : La prévision de la dégradation de l’état d’enneigement d’ici 2050 est confirmée et va se poursuivre jusqu’en 2100 en fonction des scénarios climatiques qui se décideront politiquement. Aujourd’hui, ces dégradations des conditions d’enneigement naturel impactent toutes les stations qui n’ont que peu de solutions pour pallier le manque de neige : produire de la neige de culture, notamment en début de saison, pour assurer un manteau neigeux pour le démarrage de la saison ; le « snow farming » qui consiste à stocker la neige pour pouvoir la réutiliser l’hiver suivant, notamment en la recouvrant de sciure de bois.
Mais en même temps, les territoires de montagne ont été structurés par cette économie des sports d’hiver. Aujourd’hui ce secteur représente en France 10 milliards d’euros et 120 000 emplois (dont 80% sont saisonniers). Il existe également une relation affective des montagnards aux stations. Une fermeture de ces stations impacterait alors fortement ces territoires.

G. Desmurs : Aujourd’hui, aucune station – même à haute altitude – ne peut fonctionner correctement sans neige de culture. Le recours à cette technique pose beaucoup de questions pour l’avenir quant aux ressources mobilisées (de l’électricité, du froid, de l’eau) car celles-ci se raréfient. Cette dépendance soulève des questions sur la soutenabilité et la rentabilité des domaines skiables. L’utilisation de la neige de culture est par ailleurs de plus en plus décriée comme c’est le cas dans la commune de La Clusaz.

 

Un futur modèle économique pour les stations de montagne

«Au regard de la diversité des acteurs impliqués, comment percevez-vous l’évolution du modèle actuel des stations de montagne ? »

E. George : On assiste à des stratégies d’adaptation. Il peut y avoir le recours à la neige de culture, mais il existe aussi depuis plus de 15 ans une volonté de diversifier l’offre touristique afin de développer des activités répondant aux nouvelles attentes des clientèles (marcher, contempler, aller à la piscine…). De nombreuses interrogations se soulèvent néanmoins quant à la pérennité de ce modèle : faut-il poursuivre l’activité et l’exploitation d’une station ? Certains territoires envisagent déjà de penser autrement : le tourisme n’occuperait plus le rôle central du modèle économique montagnard mais se développerait aux côtés d’autres secteurs (l’agriculture, l’industrie…).

Certains territoires envisagent déjà de penser autrement : le tourisme n’occuperait plus le rôle central du modèle économique montagnard mais se développerait aux côtés d’autres secteurs (l’agriculture, l’industrie…).

«Les petites stations sont-elles vouées à disparaitre ? »

G. Desmurs : Il s’agit de rester prudent quant à ce qu’il pourrait se passer demain car tout change très vite. En réalité, même si les grandes et les petites stations sont très différentes, leur modèle économique est identique et centré sur le ski alpin et l’immobilier. Ce modèle montre les mêmes signes de faiblesse. Ces communes porteuses de stations de ski perdent chaque année des habitants (85 à 90% de résidences secondaires, pas de services à l’année). Aujourd’hui, on tente autant que possible de sauver ce modèle économique, par des stratégies d’adaptation précédemment citées, et qui est pourtant condamné.

«Comment repenser ces territoires de montagne ?»

E. George : Aujourd’hui nous n’avons pas de modèle efficace à mettre en face des stations qui ont été créées lors du Plan Neige. Pour l’avenir de ces territoires, il faut penser leur habitabilité et mener une réflexion prospective intégrant l’ensemble des acteurs montagnards.

« Les collectivités territoriales de montagne se rapprochent-elles des climatologues pour réinventer leur modèle économique ? »

M-A. Mélière : Les climatologues font partie du comité scientifique de la FFCAM (Fédération Française des Clubs Alpins et de Montagne). Avec les membres de la Fédération, ils réfléchissent à développer d’autres activités de plein air moins habituelles à destination des pratiquants de montagne ainsi qu’à développer leur connaissance de la montagne.

« Existent-ils déjà des exemples de reconversion de stations de montagne ? »

G. Desmurs : Beaucoup d’exemples sont des initiatives individuelles. Ces mouvements proviennent des habitants de ces territoires montagnards. Ils expriment davantage leur colère et souhaitent réagir. Egalement, la petite station de Métabief est l’un des exemples incontournables de cette volonté collective de reconversion.

« La montagne vit toute l’année, comment transformer ces territoires ? »

E. George : Le territoire de montagne possède de nombreuses ressources patrimoniales, environnementales, agricoles, pastorales, industrielles et artisanales. Il est de temps de prendre en compte ces ressources qui interagissent à une échelle plus globale que la station touristique et d’intégrer ces ressources dans le modèle économique. C’est également en expérimentant des chemins de transition « sur-mesure » en fonction des territoires. L’INRAE mène un projet européen de mise en réseau de stations engagées dans la transition pour que chacune puisse partager ses bonnes pratiques pour un futur désirable.

« En termes de gouvernance, cette transition peut-elle être menée par les citoyens ou les collectivités publiques doivent également être de la partie ? »

E. George : Certes les citoyens font entendre leurs voix sur une vision future, mais la Loi Montagne appliquée en France désigne le Maire et ses élus comme chef d’orchestre du développement touristique. Ce chef d’orchestre doit faire preuve d’une capacité à mettre l’ensemble des acteurs de la montagne (pas seulement touristique) autour de la table pour construire une trajectoire commune du futur de ces territoires.

G. Desmurs : Dans ces territoires la gouvernance est fragmentée, ce qui donne une multitude d’acteurs responsables du modèle économique. Le transport par exemple est un responsable majeur des émissions carbones, mais ce secteur se compose lui-même de nombreux acteurs qui doivent s’entendre.

 

La ressource en eau

« Qu’en est-il de la ressource en eau dans ces territoires de montagne ? »

M-A Mélière : Habituellement, la ressource en eau suit un parcours variable tout au long de l’année : de septembre à avril, l’eau provient d’une succession de chutes de pluie/neige. D’avril à juin, celle-ci provient de la fusion des couches de neige qui fondent puis, de juin à septembre, de la fusion des glaciers. Mais le réchauffement climatique perturbe ce processus : l’augmentation des températures entraine plus de pluie et moins de neige en hiver, les couches de neige qui fondent sont plus précoces et moins denses, les glaciers disparaissent et font diminuer la ressource en eau. Avec l’augmentation des températures qui s’annonce (+2°C) dans les années à venir, la ressource en eau va devenir le problème numéro un en montagne.

Avec l’augmentation des températures qui s’annonce (+2°C) dans les années à venir, la ressource en eau va devenir le problème numéro un en montagne.

« La question de l’eau est-elle au cœur des préoccupations des acteurs et habitants des territoires de montagne ? »

G.Desmurs : Face à ce challenge, il existe deux types d’arguments :  (1) construire des bassines de stockage de l’eau plus grandes pour capter cette eau, majoritairement mobilisé par les directeurs des remontées mécaniques et les agriculteurs ; (2) construire des modèles économiques de développement plus indépendants de la ressource en eau et du froid. Ce second modèle semble être la direction privilégiée pour plus de soutenabilité.

E. George : Les effets de la sécheresse se font grandement sentir dans les territoires de montagne, tant en termes de biodiversité que d’organisation du travail des agriculteurs et pastoralistes. Les tensions sont grandes entre ceux qui défendent une vision plutôt économique et ceux qui défendent une vision plutôt environnementale. L’idéal serait de réussir à concilier les deux visions en considérant les territoires de montagne comme des biens communs disposant de ressources qu’il convient de gérer de façon équitable et économe.

 

Un dernier mot

M-A. Mélière : La montagne est un milieu avec des caractéristiques tout à fait uniques à préserver : préservation de la fraicheur, un château d’eau permanent, de l’air et des sols non pollués pour les cultures, une zone de liberté et de contact avec la nature…

G. Desmurs : L’urgence est de maitriser l’immobilier, la ressource en eau, développer des mobilités peu carbonées, travailler à des stratégies viables sur le long terme avec des modèles économiques permettant de vivre à l’année, cesser de réfléchir à l’attractivité et penser l’habitabilité des territoires.

E. George : L’habitabilité est le terme de demain pour les territoires de montagne, le tourisme peut avoir sa place mais peut-être sous une autre forme.

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